1984 d’Orwell: une nouvelle traduction plus glaçante
Le succès de librairie de l’auteur britannique reparaît aux éditions Gallimard. Cela faisait 68 ans que la publication française n’avait pas été revue. Écrite au présent, cette version a pour ambition de «restituer la terreur dans toute son immédiateté».
Publié en français pour la première fois il y a près de 70 ans, le chef-d’œuvre de George Orwell 1984 reparaît jeudi chez Gallimard dans une nouvelle traduction dont l’ambition est «de restituer la terreur dans toute son immédiateté».
«Big Brother», «novlangue»… Les mots qui hantent la célèbre dystopie d’Orwell sont passés dans le langage courant et traduire ce monument de la littérature mondiale ne va pas de soi. «À la première version (œuvre de la traductrice Amélie Audiberti) toute notre gratitude est due car c’est bien elle qui a passé le texte sur notre rive linguistique», explique la traductrice Josée Kamoun dans une note placée à la fin du volume qu’elle a retraduit. Jamais depuis sa première publication en français en 1950, 1984 n’avait bénéficié d’une nouvelle version.
Big Brother «te» regarde
Si le terme «Big Brother» a été maintenu dans cette nouvelle version («le terme Big Brother peut être compris de tous ou presque», souligne Josée Kamoun qui fait cependant remarquer que «toutes les traductions européennes de l’époque ont nommé le personnage Grand Frère» par allusion au «grand frère» soviétique), il n’y a plus de «novlangue» (la langue officielle d’Océanie) mais du «néoparler» dans la nouvelle version.
La «doublepensée» qui rend possible l’inversion du sens des mots est restée mais «les slogans du Parti» ont été légèrement modifiés et sont désormais plus fidèles à l’original en anglais. «Guerre est paix» (War is peace dans la version originale) remplace «la paix c’est la guerre», «Liberté est servitude» (Freedom is slavery) a été préféré à «la liberté c’est l’esclavage».
De l’imparfait au présent
Quant à «L’amour c’est la haine» qui était jusqu’à présent dans la version française (et qu’on ne trouve pas dans la version originale) il est remplacé par «Ignorance est puissance» (Ignorance is strength dans la version anglaise). «Big Brother» ne «vous» regarde plus mais il «te» regarde. Surtout, le texte, à l’imparfait dans la version de 1950, est désormais conjugué au présent, ce qui rend le récit encore plus glaçant.
Pour l’éditeur cette nouvelle traduction «plus directe et plus dépouillée» tente «de restituer la terreur dans toute son immédiateté mais aussi les tonalités nostalgiques et les échappées lyriques d’une œuvre brutale et subtile, équivoque et génialement manipulatrice».
Écrit en 1948, d’où le titre avec une inversion des deux chiffres de la décennie, et publié en 1949, 1984 décrit un futur où le Parti règne sur l’Océanie (Océania dans la version française de 1950) pays totalitaire où le passé a été oblitéré et réinventé, où les événements les plus récents sont susceptibles d’être modifiés et où une nouvelle langue empêche toute pensée critique.
L’AUTEUR
George Orwell
George Orwell, nom de plume d’Eric Arthur Blair, né le 25 juin 1903 à Motihari (Inde) pendant la période du Raj britannique et mort le 21 janvier 1950 à Londres, est un écrivain, essayiste et journaliste britannique.
Son œuvre porte la marque de ses engagements, qui trouvent eux-mêmes pour une large part leur source dans l’expérience personnelle de l’auteur : contre l’impérialisme britannique, après son engagement de jeunesse comme représentant des forces de l’ordre colonial en Birmanie ; pour la justice sociale et le socialisme démocratique, après avoir observé et partagé les conditions d’existence des classes laborieuses à Londres et à Paris ; contre les totalitarismes nazi et soviétique, après sa participation à la guerre d’Espagne. Parfois qualifié d’«anarchiste conservateur», il est souvent comparé à la philosophe Simone Weil, en raison de ses prises de positions originales pour un socialiste.
Témoin de son époque, Orwell est dans les années 1930 et 1940 chroniqueur, critique littéraire et romancier. De cette production variée, les deux œuvres au succès le plus durable sont deux textes publiés après la Seconde Guerre mondiale : La Ferme des animaux et surtout 1984, roman dans lequel il crée le concept de Big Brother, depuis passé dans le langage courant de la critique des techniques modernes de surveillance et de contrôle des individus.
L’adjectif « orwellien » est également fréquemment utilisé en référence à l’univers totalitaire imaginé par cet écrivain anglais.
éditions : Gallimard – Collection du Monde Entier