Les Samadhi du Samedi | Ep.59

Les Samadhi du Samedi | Ep.59

Les Samadhi du Samedi – «NON JE NE REGRETTE RIEN» (*)

Les personnes appartenant au faisceau d’âge le plus vulnérable se souviennent sans doute de la voix inoubliable d’une toute petite femme, vêtue de noire, chancelante sous la rampe de lumières des scènes du monde entier. Peut-être faut-il naitre dans la rue, le manque et la peur pour chanter cet hymne à la vie comme elle le fit.
 
En cette période où le Covid-19 paralyse notre illusion d’agir, anéantit la valeur de l’argent, bouscule les différences, peu sont sans doute ceux qui pourraient chanter comme Edith Piaf : «non, rien de rien, je ne regrette rien, ni le bien qu’on m’a fait, ni le mal. Je repars à zéro.»
 
Chacun de nous a grandi, crié, souri, pleuré, aimé, quitté, abandonné, retrouvé, mais que regrettons nous ? Quelle main n’avons-nous pas tendue ? à quel besoin n’avons-nous pas répondu, quel service n’avons-nous pas voulu rendre ? quelle amitié avons-nous trahie, quel souvenir enseveli, quelle vérité cachée, quel remords déguisé ?
 
Ce moment d’urgence sanitaire mondiale met au grand jour les différences qui déchirent la planète, les carences, les injustices mais aussi la suffisance, l’ethnocentrisme, l’abime culturel qui permet à certains de se croire le droit de contaminer les autres pour préserver leur musculature ou celui d’insulter un uniforme pour promener leur toutou.
 
La solidarité et la vocation de service sont bien sûr au rendez-vous mais la question n’est pas de savoir comment agissent ceux qui ont pris le parti d’aider autrui au risque de leur propre vie mais plutôt, de quelle peste le monde a t’il besoin pour que le collectif surmonte l’individualisme ?
 
Si les citoyens des états les plus nantis, les plus assistés, les mieux protégés ne peuvent supporter une quarantaine, un confinement, sans déferler les imprécations les plus arbitraires à tous vents sur les réseaux, qu’escompter ou espérer de ceux qui doivent attendre en silence qu’un médicament ou un morceau de pain parviennent jusqu’à eux ?
 
L’Europe n’est parvenue au niveau de développement et de privilèges dont ses partenaires jouissaient jusqu’à présent que parce que nos aïeux ont sacrifié leurs petits profits personnels, leur sécurité, leurs intérêts et leurs privilèges pour faire face aux invasions, à la famine, aux guerres, aux épidémies, et à toutes et chacune des calamités que l’humanité a su créer puis vaincre au cours des siècles.
 
Nous quitterons tôt ou tard le corps que nous habitons, la carte de crédit et la maison qui nous rassurent, le nom que nous donnons à autrui pour nous différencier de lui et à nos enfants pour nous croire immortels. Mais, l’heure venue, pourrons nous, ouvrir les fenêtres de notre balcon et sinon chanter, du moins savoir que nous ne «regrettons rien de rien» ?
 
Marie-France Cathelat
Lima, 28 Mars 2020
 
(*) Chanson composée par Charles Dumont sur une musique de Michel Vaucaire pour Edith Piaf

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