Les Samadhi du Samedi – Les noms du Père
L’ethnologie contemporaine nous rappelle qu’il existe des sociétés sans mariage ni Père où la famille et l’autorité parentale sont partagées par le couple frère-sœur, comme dans le cas des sociétés de l’ancienne Egypte, du Pérou incaïque ou encore celui des Na du Yongning en Chine où le mot pour désigner la fonction biologique et sociale paternelle n’existe pas. (*)
Toutefois, dans nos sociétés monothéistes, et en dépit des mutations dans les rôles et les options sexuelles, la formation de la structure œdipienne ne peut se réaliser que si, dans le cercle de réciprocité fusionnelle entre la mère et le nourrisson, le nom du père est présent dans le dire de la mère comme représentation symbolique que l’enfant puisse valoir.
Par les temps de la pandémie qui coure, le rôle du Père est devenu non seulement celui par qui le nom est donné, celui qui transmet la Loi, le père symbolique, mais aussi celui qui doit nourrir et enseigner. Sa présence journalière et constante au foyer n’est plus seulement la manifestation de l’interdit de l’inceste, mais aussi celui de sortir, courir, embrasser et surtout l’obligation d’incarner le «sujet supposé savoir».
Trouver le ton, le rythme pour incarner une nouvelle forme d’autorité partagée, la façon de transmettre sans heurter, d’enseigner sans impatience, de raconter sans lasser est une démarche initiatique qui ressort de l’art pur et de la capacité de découvrir ce que Lacan appelait «le juste mi-dieu». Le don et l’échange qu’exige l’amour en dehors de toute logique, au-delà des bénéfices de la consommation, l’efficacité et la productivité si souvent présentes dans la tâche d’être homme.
Père, celui que beaucoup n’ont pas connu, Père celui qui parle peu mais parfois trop fort, Père qui te donnes tant de mal pour paraitre fort, protecteur et rassurant, qui te replies sur toi-même pour cacher tes propres peurs, et surtout celle d’être remis en question.
Père, dont nous fêterons le nom demain, Père toi qui es disparu et dont j’ai tenu la main pour franchir les nuages, dis moi comment redonner un sens au monde de demain pour les enfants qui ont faim, ceux qui n’ont pas d’écoles, pas d’avenir et pour ceux qui meurent ?
(*) Cai Hua, Presses Universitaires de France, 1997.