Les Samadhi du Samedi – LE VILLAGE ENDORMI
Lorsque Marshall Mac-Luhan(*) nous prédit le village global à partir des outils technologiques que l’être humain utilise à travers le temps et qui deviennent une extension de lui-même, devinait-il que la révolution digitale, le numérique et la réalité virtuelle allaient devenir non seulement les extensions de notre corps mais, en cette période d’épidémie globale notre seul moyen de communication ?
Apparemment, il anticipait qu’à force de se retrouver chacun face à un écran qui parlerait, penserait, agirait à notre place, une mutation de l’humanité produirait peut-être un bouleversement comme celui qui nous amène à reformer des liens, à rétablir le partage, à redécouvrir le manque et à réinventer le couple, la famille, la tribu ?
Pensait-il déjà que notre espèce était capable de provoquer un tel délire de consommation, d’accumulation de biens inutiles, de tonnes de plastique capables de pourrir les océans, de ravager les forêts, d’ouvrir les plaies exsangues de la terre, de
consommer des aliments suspects au point de se retrouver cloîtrée chacun chez soi ?
L’exode effrénée de tous les peuples s’arrachant des kilomètres de papier hygiénique en dit plus long sur la propension de l’humanité à la possession, au control et à l’agressivité envers l’autorité qu’au souci d’hygiène, à proprement parlé.
Mafalda (**) constatant que, le monde ne tournait plus rond, demandait avec la sagesse qui caractérisait toutes ses remarques «qu’on l’arrête pour qu’elle puisse en descendre». C’est indiscutablement ce qui est en train de se produire.
L’humanité n’a jamais grandi dans les périodes folles d’abondance ou de bien-être mais dans les épreuves et la minuscule parcelle du cosmos que nous habitons semble avoir décidé d’arrêter le manège sur lequel nous l’avons embarquée pour nous rappeler certaines règles de bon sens et de prudence.
L’économie qui servait de bouclier à toutes les oppressions, les inégalités et les injustices va devoir se soumettre à un sérieux lifting et les drones, chargés du service à domicile des bombes, rectifier leur tir.
Et dans ce village endormi qu’est devenu notre monde, chacun d’entre nous va pouvoir, pour un temps, comme Mafalda, arrêter le tournis et chercher, partager, retrouver un petit coin de jardinage où planter le sens de sa vie.
Marie-France Cathelat
Lima, 21 Mars 2010
(*) Mashall Mac-Luhan. Philosophe canadien auteur de La Galaxie Gütemberg, 1962 -Understanding Media- The extensions of Man : 1964 War & Peace in the global village (1968) etc…
(**) Mafalda, personnage contestataire principale de la bande dessinée de l’humoriste argentin Joaquin Lavado, appelé Quino, qui dans la décennie de 1965 à 1973 dénonçait les failles des systèmes politiques et économiques