Les Samadhi du Samedi – « Liberté, Égalité, Fraternité »
Il faut remonter à Fénelon (*) pour trouver les origines du concept de Fraternité, associé à la Liberté et l´Egalité qui sont la devise de la République française. Mais, curieusement, ce n´est qu’à partir de 1958 que la Constitution instaure cette troisième définition de l´esprit national dans son article 2 et qu’il est reconnu principe constitutionnel le 6 Juillet 2018. Il est vrai que ce qui n´est pas représenté a autant de présence symbolique que ce qui est évoqué et que, depuis le 14 Juillet 1790, le peuple de France avait tissé les liens de la fraternité qui marquèrent la Fête de la Fédération puis, en 1848, l´instauration du suffrage universel, et le chemin des rencontres avec les différences.
Toutefois et, curieusement, alors que jusqu’à présent j´ignorais un peu le nombre de joueurs qui compose une équipe de foot, les matchs du mondial et les superbes jeux panaméricains de Lima m´ont permis de découvrir combien et pourquoi la fraternité est une dimension fondatrice de l´effort de tribus et peuples divergents pour former une Nation dont les habitants ne partagent pas forcément les mêmes convictions. De fait, ce n´est souvent, aujourd’hui, que lors d´un défi sportif international que nous pouvons sentir combien, subitement, l´égoïsme et l´appât du bénéfice immédiat cèdent place au partage d´un combat contre l´égoïsme collectif, la recherche d´un référent symbolique qui nous transcende, nous porte au-delà des fractures.
Bien sûr, cette «fratrie» qui porte haut les couleurs et les sons de nos origines ne nous permet aucunement de déceler ce qu´il y a de troublant, de conflictuel dans l´exploration des terres mouvantes de la fraternité dès que le citoyen moyen se retrouve coincé dans un embouteillage au centre de Lima. Ce «Nous» momentané, qui se tricote contre les «autres» ressemble étrangement à la solidarité qui se tisse après une catastrophe naturelle, un exil forcé ou un tremblement de terre. Une économie de la gratuité s´instaure d´autant plus rapidement que le danger ou le défi sont grands. Il disparait aussi vite que le danger est écarté et la reconstruction de chacun redevient une affaire hautement risquée et personnelle et la solidarité s´effondre dans les méandres de l´administration régionale et l´entraide internationale.
Les qualités, hautement viriles, de la fraternité n´ont jamais trouvé leur équivalent féminin, puisque le terme de «sororité» longtemps utilisé par les mouvements ultra féministes dans les années 1970 n´ont d´autre équivalence avec la «fraternité» que la recherche de revendiquer justice pour l´égalité des droits humains et la parité. Serait-ce parce que les femmes se sont longtemps vues confinées aux tâches de survie de la famille et le sont encore dans une immense portion de la planète ? Est-ce parce que se libérer du complexe d´Œdipe et la relation avec « le Pouvoir » est un exercice plus complexe pour la gente féminine?
La question est donc neutre, en termes de genre, mais universelle et partagée par tous les peuples de la terre qui consciemment ou non recherchent un idéal qui les dépasse, qui surpasse leur petite ou grande vie, la médiocrité et la rivalité de leurs relations humaines, la jalousie de leur voisin ou la perte de sens de leur quotidien.
A l´heure de l´irréversible mondialisation que tous les peuples de la terre assimilent à des rythmes et de façon malheureusement très divergentes, cet élan plein de chaleur et d´enthousiasme qui éclate spontanément parmi des communautés habituellement rivales ou exclusives n´est il pas le signe d´une recherche, d´un besoin de recréer une paix civile qui ressaisisse certaines valeurs, un mythe fondateur qui octroie à chacun l´occasion de se surpasser, un dépassement de soi, ce que le poète péruvien Antonio Cisneros appelait «une transcendance ?»
Marie-France Cathelat 14 Septembre 2019
(*)Fénelon : Les aventures de Télémaque